Le pont aux chèvres

24/07/2023

Le pont aux chèvres

Et puis, auprès du pont, il y a le puits couvert encore visible de nos jours sur la rive droite du canal. Profond de six mètres, il est abrité depuis 1875 par une petite construction et l’eau de sa source est séparée de celle du canal par un ingénieux système de maçonnerie : quand on puise au puits, on ne puise pas dans le canal ! Enfin le canal sert de repère aux Vizerons : près du lavoir, lorsque l’eau passe au-dessus « la grosse pierre », elle aussi encore visible, c’est que l’inondation menace les marais.

Un grand nombre de commerces et d’ateliers d’artisans s’ajoutaient à cette intense activité. La liste de ces établissements est longue. Ils ont marqué la vie du village et les mémoires à la veille de la Grande Guerre, dans l’Entre-deux-guerres et parfois jusqu’aux années 1980. Voici en venant du Clouzy : le maraîcher Gaborit et ses serres, après guerre, au numéro 22 de la rue du Pont aux chèvres ; au 25, le maréchal-ferrant Proquin ; au 26, au début du XXe siècle, le marchand de barriques Simonnet, inventeur sans succès à ses heures, puis le salon de coiffure Phelippeau ; au 30, la couturière Line ; au 34, avant 1914, un autre maréchal-ferrant, Charles, puis le sabotier Renou ; au 36, l’atelier (démoli il y a quelques années) du charron Etienne Genauzeau dont l’épouse, Germanie vendait œufs et fromages.

Sur l’autre rive du canal, au 1 rue du Sablon, Philippe Randonnet tenait un atelier de charron et de menuiserie, suivi par son fils, Fernand ; certaines jeunes filles du quartier allaient apprendre la couture chez l’épouse de celui-ci, Léa. Au 2 rue du Petit Marais, Gantier dit « le Bouif » était cordonnier. Au 47 rue du Pont aux chèvres, on peut encore voir les marches et la porte d’entrée de l’épicerie de Blanche Loriou-Chabirand : « chez Blanche », on trouvait de l’épicerie en tout genre, du tissu, de la laine, des friandises… Le mari de Blanche, Théophile Loriou était maçon. Plus loin, au 51, Elie Dieumegard avait sa forge, et son épouse « Zabelle » lavait le linge pour les familles nombreuses. Au 52, d’un côté « Meline » Chartier était coiffeuse pour hommes, et de l’autre, le café Chaigneau attirait ceux qui venaient de se faire coiffer ! Au 53 enfin, le garage automobile Charbonnier a fait ses premiers pas à la fin des années 1950 ; l’établissement ne fermera qu’en 2008.
 
Au milieu de tant d’activités, les familles du Pont aux chèvres évoluent, les générations se succèdent, les surnoms restent… et s’effacent aujourd’hui des mémoires. Chacun était pourtant connu par son surnom autant que par son nom (qu’on finissait même parfois par oublier !). Imaginons-nous au bord du canal il y a quelques décennies : voici que passent Line, Phonsine, Germanie, Glantine Surelle ; plus loin, sortis de chez eux au bord de la rue, Simonnet dit « la Grabette », Emile Pouvreau dit « Fabien » (le prénom de son grand-père), « la Lapine » au café Thevin, « la Perdrix » son voisin, « la Bouétouse Tapoune », Jean Pageaud dit « Quiava », Gantier dit « le Bouif », Marie « Belielle », « Chagnielle », Gachignard « Za »… Voyez ces gens sur cette photo prise au niveau des numéros 26 et 27 vers 1900. Tous ont vécu, ont travaillé, ont ri, ont pleuré dans ce village du Pont aux chèvres que nous traversons aujourd’hui trop rapidement en voiture. Pourtant, aujourd’hui comme il y a trois siècles, le canal continue à évacuer une bonne partie de l’eau des marais de Vix.